• Suite & fin du dialogue « Nissyros la sulfureuse – 1 & 2 »

    Phillène et Misellas débattent de la nature grecque

    Phillène : – Dis-donc, tu ne t’es pas beaucoup baigné aujourd’hui quand on était à White Beach. Pourtant la mer était chaude...

    Nissyros 3Misellas : – « Wild » Beach, tu veux dire : il y avait trop de vagues, on aurait dit un rivage d’Atlantique. Si le vent calme les ardeurs du soleil, il calme aussi les miennes pour ce qui est de faire trempette... J’ai préféré chiner des minéraux sur la plage.

    – Pierre ponce ? Obsidienne ?

    Pas seulement. C’est moins par leur valeur intrinsèque que par leur aspect charmant que m’ont séduit les cailloux que j’ai ramassés. Regarde : il y en a qui ressemblent ici à un œuf de jade ou à une tranche de lard, là à une pierre de rune ou à un coquillage... Incroyable, non ? La beauté de la nature se donne à voir jusque dans ses capricieux détails.

    – Et parfois elle te choisit malgré toi pour que tu l’exaltes ; c’est ce qui est arrivé à Super Caretta*, quand une tortue de mer l’a réveillée sur la plage pour lui sommer de quitter son nid.

    – Une rencontre magnifique qui a révélé une personne magnifique...

    – La pauvre... Depuis qu’elle a pris en charge la défense des tortues de mer de Nissyros** et la préservation de leurs nids disséminés sur la plage, et donc menacés par le comportement insouciant des baigneurs et des libres-campeurs, cette fille de Rhodes a dépensé sans compter pour sensibiliser le public et les autorités.

    Eh oui... Un combat solitaire et ingrat comme seul en conduit le héros d’une belle cause...

    – A laquelle tu as participé gracieusement en réalisant ce poster qui fut le début d’une campagne d’affichage de sensibilisation largement diffusée sur l’île...

    Nissyros 3

    NDT : « Pas à pas, la tortue de mer disparaît »

     

    A quel prix et pour quel résultat ! Super Caretta s’est heurtée à l’incompréhension, souvent agressive, que produit la priorité (dans les actes) pour certains « free campers new age » de préserver leur confort spartiate sur la plage, lors même qu’ils se prévalent (dans les mots) de communier avec la nature... Celle-ci est finalement trop humaine... Je souhaite bien du courage à notre Super Caretta !

    – On la retrouvera ce soir à Evangelistria pour la panégyrie.

    Nissyros 3Sans moi. J’en ai ras le topee de ces fêtes religieuses... On mange, on boit, on danse en rond, au son du sempiternel violon qui égrène toujours les mêmes rengaines larmoyantes les unes après les autres. Une fois que tu as participé à une de ces panégyries, tu les connais toutes. De toute façon, j’ai remarqué qu’ici à Nissyros, la moindre occasion de se rassembler se solde généralement par un bœuf de musique traditionnelle où chacun sort qui son bouzouki, qui sa lyre, qui son violon ; et c’est parti pour un pot pourri rébétikoïde qui n’en finit pas !

    Nissyros 3– Tu plaisantes ? J’adore le Rébétiko : ce blues grec est né dans les années 20. D’ailleurs, le dessinateur français David Prudhomme lui a rendu hommage dans une magnifique BD parue chez Futuropolis. Tiens je vais te l’offrir, ça te rendra moins con !

    – Merci Phillène, car je préfère le lire que l’entendre...

    – Toi alors ! Mais c’est fantastique au contraire ! Quelle ambiance ! Sans parler que tant de jeunes grecs (instruits) savent jouer d’un instrument et connaissent le répertoire traditionnel grec depuis leur prime enfance. En France, il y a longtemps que ça n’existe plus !

    –  Depuis que nous sommes une nation laïque...

    – C’est que les Grecs – eux – restent très attachés à la religion orthodoxe et à leurs coutumes.

    Un peu trop à mon sens ; et c’est à leur détriment d’une certaine manière...

    – Que veux-tu dire ?

    Ben d’abord, quand ils se rencontrent, ils ne jouent que ça : leur putain de zique. Du jazz, du rock, du folk, du blues, tu peux toujours courir pour en entendre une note. Et puis, comment dire...  ça colle bien avec leur nature nonchalante et leur repli sur eux-mêmes.

    – Mais non ! C’est un peuple ouvert et accueillant.

    Vis-à-vis des touristes ou des immigrés ?

    – Tu exagères comme toujours, Misellas...

    Pas tant que ça. Il suffit de voir comment les Grecs traitent leurs animaux domestiques : chiens attachés et battus, chats efflanqués, malades, nourris au lance pierre... Voilà qui en dit long sur leur progrès en matière d’empathie sociale...

    – Va dans les campagnes françaises : tu m’en diras tant !

    Peut-être... Mais notre hôte grecque reconnaissait elle-même qu’écrasé par la gloire antique d’avoir donné au monde la démocratie et la philosophie, le peuple grec avait depuis abdiqué son génie à pourvoir l’humanité en d’autres domaines : technique ou industriel, intellectuel ou artistique, économique ou social... Si bien que faute de pouvoir aller de l’avant, il se réfugie dans son passé, figé par ses traditions, se contentant du minimum confortable qu’offre le réflexe nostalgique. La panégyrie (littéralement : tous en rond) n’est-elle pas une danse en cercle fermé, entre soi ?

    Nissyros 3

    Les cubes de Mandhraki... ou de n’importe quel village grec ?

     

    Il n’est en outre qu’à voir la monotonie rudimentaire des façades de leurs maisons, toutes façonnées selon le modèle du cube blanchi à la chaux et aux huisseries irrémédiablement bleues ; ou leurs intérieurs falots privilégiant la commodité pratique, sans qu’il s’y exprime un souci de plaire par quelque finesse de goût, comme si la beauté rude et simple de leur pays suffisait à écarter toute velléité esthétique... Bref, un doux abandon de soi-même dans la mélancolie d’un passé trop grandiose pour qu’on ose le présent, d’un présent trop frustrant pour qu’on oublie le passé... D’ailleurs France s’écrit en grec : « Гάλλίά » qui veut dire Gaule. Cocasse, non ?

    – Et c’est grâce à tes yeux de serpent que tu vois tout ça ?Nissyros 3

    Nan, ma belle ; c’est au travers des lunettes des Titans, ce vestige mytho-logique planté en haut du village de Nikia, tel une métaphore de la myopie des dieux grecs d’aujourd’hui...

    – Tes grosses lunettes, mon cher Misellas, ne seraient-elles pas plutôt pour ton regard acerbe un miroir moins déformant que pessimiste sur notre propre situation, à nous Français ? Le flip de la décadence, la nostalgie de notre rayonnement passé, un sentiment d’impuissance, le manque de confiance en l’avenir...

    Euh...

    – Tu t’es tu têtu ? Bien fait ! Enfin, c’est pas tout ça... Mais faut que je me fasse belle pour la panégyrie de ce soir...

    Ah, je vois : il y a de la drague en perspective...

    – C’est là qu’il y aurait à dire, mon cher Misellas ! Je n’ai pas connu un seul prétendant grec qui n’attendît de la femme sur laquelle il avait jeté son dévolu qu’elle fît le premier pas – je parle de celui qui engage sexuellement – tout engoncé qu’il était dans son machisme méditerranéen. Ici, la fierté masculine ne s’abaisse à aucune geste érotique...

    Tu mets « geste » au féminin ?

    – Dans le sens d’héroïque, oui.

    Ha ha ! Bon, ben... Il est temps que j’aille me coucher.

    – Déjà ? Alors, tâche – après t’être brossé les dents – de te laver la bouche au savon, vu toutes les gentillesses que tu as jetées sur mes frères Hellènes. N’oublie pas que la France demeure le pays le plus angoissé de la planète. Tu fais bien de te coucher, en effet ! Bonne nuit – ou kalinikta, comme on dit en Grèce !

    Kalinikta mère, Phillène, t’auras des petits frères grecs !

    Fin du sympathique dialogue.

     

    Nissyros 3

    Adieu au grand bleu.

     

    > Voir aussi Nisyros en images / rubrique « Divers »


    * Caretta Caretta est le nom scientifique de l’espèce de tortue de mer qui aborde à Nissyros. Super Caretta est le sobriquet de cette courageuse fille de Rhodes, qui a pris sur elle le fardeau ingrat de préserver leurs œufs de la bêtise humaine. Elle a par ailleurs réalisé sur place un blog pour traiter du sujet – attention : c’est écrit en grec !

    ** Nissyros s’écrit aussi Nisyros / Nίσυρος.

     

    A lundi prochain pour la dure reprise de l’actualité !

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